mardi 14 mai 2013

Cloud et ergonomie


L'idée de ce billet m'est venu après avoir constaté combien mon ressenti sur l'informatique dans les nuages avait pu évoluer depuis que j'ai découvert le terme magique "Cloud" il y a environ 2 ans. Encore une pseudo révolution qui va enchanter les commerciaux et les directeurs informatiques, friands d'acronymes et de nouveautés renversantes, me suis-je dit. Car, enfin, n'essaie-t-on pas de faire du neuf avec du vieux ? Après tout, il y a bien longtemps que nos données sont sauvegardées sur un serveur !

J'ai mis longtemps à percevoir comment cela allait impacter en profondeur l'usage des applications informatiques. A l'occasion de la sortie de la version Cloud du projet Voltaire où j'ai modestement participé à la conception du client Android, voici venu le temps de présenter en quoi, le Cloud permet de faciliter l'utilisation de nos applications, devenant un véritable levier ergonomique.

Aux origines


Remontons d'abord aux origines de l'informatique, à savoir une unité centrale non connectée au réseau. Poursuivre son travail sur une autre machine relevait de l'exploit, tant les obstacles étaient nombreux. Le seul moyen de faire transiter des données consistait à les copier sur un support physique magnétique dont l'espace de stockage était bien sur limité (ah les disquettes 1,2Mo !). On pouvait par exemple emmener son fichier Word au travail, à condition que l'OS de la machine du bureau et la version d'Office soient compatibles. Bien sur, en cas de modification du fichier, il ne fallait pas oublier de faire l'opération inverse pour récupérer ses modifications à la maison.

Ces difficultés ont conduit à un usage en silo des outils informatiques. Chaque ordinateur est utilisé en vase clôt, l'ensemble des données reste en local. S'il est déjà possible de suivre ses comptes informatiquement, il y a de puissants freins ergonomiques. Il faut ressaisir manuellement les relevés de comptes papiers et la plupart des situations où je pourrais avoir besoin de l'état de mes comptes ne sont pas compatibles avec les contraintes suivantes : être à proximité de l'ordinateur, avoir le temps nécessaire (à l'époque plusieurs minutes pour démarrer, lancer le logiciel de gestion personnel et accéder à l'écran voulu).

L'avènement des réseaux, d'internet et des applications Web


Avec la possibilité de relier les machines entre elles, le partage d'informations est devenu beaucoup plus simple. En stockant une base de données sur une machine dédiée, les applications clients/serveur permettent, dans les années 90, à plusieurs utilisateurs de travailler en même temps. Il devient également possible, sous réserve que l'application cliente soit installée sur chacun des postes, de travailler sur plusieurs machines. Cela reste théorique car la machine est très liée à son utilisateur pour diverses raisons : OS pas encore multi utilisateur, caractère très privatif de l'ordinateur à l'époque. De plus, cela reste cantonné au milieu professionnel, hormis quelques geeks qui se montent un réseau filaire privatif à la maison !
Avec la démocratisation d'internet au début des années 2000, les barrières technologiques entre l'informatique du bureau et celui de la maison sautent ! N'importe quelle machine est désormais capable de lire et d'écrire des données sur une machine distante, pas forcement clairement identifiée.
Parallèlement, Internet brise les frontières entre les OS, en permettant d'afficher des informations sous un format compris par toute les machines : le HTML. Les applications Webs permettent une utilisation depuis n'importe quelle machine, sans contraintes (pas d'installation préalable) mais au prix d'une expérience utilisateur dégradée (HTML étant orienté vers des interactions liées à la consultation de documents).

Vers une utilisation distribuée sur plusieurs terminaux


Techniquement, le Cloud est donc né il y a plus de dix ans ! A ce moment, l'utilisateur était plutôt réticent à envisager de partager ses données personnelles ou même de les stocker à distance. Avec l'avènement des réseaux sociaux, les verrous sautent, au grand bonheur de grosses sociétés dont le modèle économique est basé sur l'exploitation des données personnelles. Voir, en la mise à disposition gratuite d'espace de stockage toujours plus important, un appât pour capter les données des utilisateurs, n'effraie que les plus vieux d'entre nous. Le Cloud a de beaux jours devant lui car la nouvelle génération ne craint plus de confier ses données à un tiers.

Mais le Cloud n'est pas que cela et c'est là que cela devient intéressant pour l'ergonome que je suis. Avec la multiplication des terminaux connectés à Internet et leur démocratisation, les populations et les situations d'usages se sont considérablement élargies. A brève échéance, la quasi totalité de la population des pays développés sera multi équipées de terminaux internet : smartphone, tablette, ordinateurs bureautiques, consoles de jeux... Chaque terminal correspond à une situation d'usage particulière : fixe (l'ordinateur classique au bureau), mobile (le smartphone qui tient dans la poche et que j'emmène partout), semi mobile (la tablette transportable dans les différentes pièces de la maison).

Exemple de la dropBox


Client iOS

Client Android

L'exemple même d'une application basique fonctionnellement, qui fonde sa valeur sur son aboutissement ergonomique. Il s'agit d'un simple gestionnaire de fichiers dans les nuages, mais dont l'IHM est disponible sur la plupart des plateformes : web, bureautiques (Windows, MacOS...) et mobiles (iOS, Android...).

Après avoir créé un compte sur l'application Web, l'utilisateur installe un module client sur chacun des terminaux qu'ils possèdent (Ex : un mac, un PC, un smartphone) et couple sa dropbox à son device. Dès qu'un terminal couplé est connecté à internet, les données sont synchronisées automatiquement et silencieusement. Ainsi, toute mise à jour, ajout, suppression d'un fichier, se reflétera sur l'ensemble des terminaux couplés, sans intervention de l'utilisateur. En couplant de stockage des photos d’un smartphone à un répertoire synchronisé, on a ainsi la surprise de voir les photos arriver au fil de l’eau sur chacun des appareils du réseau wifi domestique !

Cette réplication automatique et transparente, permet d’enchaîner des sessions d'utilisation sur des terminaux aussi différents qu'une tablette, un smartphone, le PC personnel fixe ou portable ou bien le PC en libre service du restaurant du coin ! A l'utilisation, on s’aperçoit que les documents sont plutôt créés sur un ordinateur bureautique mais visualisés sur un autre device (tablette, smartphone...). 

Il y a peu de risque de perte, car les données sont répliquées plusieurs fois : sur les serveurs distants, mais aussi en local sur les postes clients. De plus, il est possible de revenir à des versions antérieures ou de récupérer un fichier supprimé. Enfin, il est possible de partager très simplement des fichiers via la génération d'un lien vers un fichier ou un dossier placé dans un espace de stockage public.

Grace à cette réplication, l'utilisation reste possible en l'absence de connexion, à l'inverse d'une  application web. C'est très utile en situation de mobilité où l'accès au réseau est intermittent. Astucieusement, l'espace de stockage étant encore limité sur les smartphones, l’utilisateur peut contrôler quels sont les fichiers répliqués, via un système de favoris.

La version Web

Car c'est bien le côté ergonomique qui distingue le système d'autres gestionnaires de fichiers en ligne.  D'une part, un client natif à été développé pour chacune des plateformes avec une ergonomie aussi léchée que possible. L'application web, bien qu'aboutie, apparaît comme un client secondaire, que  l'on consent à utiliser quand on a aucun terminal privé sous la main ! Cela démontre selon moi, l'intérêt d'adapter l'expérience utilisateur au terminal de visualisation plutôt que de concevoir une IHM multicontexte.

L'autre grande force de cette application repose sur la gestion d’un maximum de fichiers. Un maximum de type de fichiers est pris en charges (images, vidéos, fichiers aux formats office...) et sur l'ensemble des plateformes. De plus, l'ergonomie de visualisation est optimisée (diaporama et aperçu pour les photos, affichage très fidèle des documents Office).    

Exemple du projet Voltaire Cloud

Version en ligne
Le projet Voltaire est une application d’apprentissage de l’orthographe. La version en ligne, permet de tester son niveau afin d’établir un programme d’apprentissage très ludique et adapté à ses difficultés. Récemment, des versions natives iOS et Android sont sorties et connaissent un gros succès, grâce à une bonne expérience utilisateur et parce que l’apprentissage devient possible en situation mobile, même en l’absence de connexion internet.


Client Android

Cependant, l’utilisation conjointe des versions mobiles et de la version en ligne, n’avait aucun intérêt puisque les apprentissages n’étaient pas partagés. Bien évidemment, une première solution aurait été d’adapter la version web à un terminal mobile, mais cela n’aurait pas permis une utilisation hors connexion.  D’où l’idée de créer une version Cloud en adaptant les versions natives via un moteur permettant de synchroniser les apprentissages. Pour permettre une utilisation offline, les échanges avec le serveur sont réduits au strict minimum, le moteur d’apprentissage et les contenus sont embarqués côté client.

L’utilisateur peut ainsi démarrer son apprentissage en classe sur la version en ligne et le poursuivre sur son smartphone sur le chemin du retour, hors connexion. D’autres scénarios sont possibles mais illustrent tous comment le Cloud permet la continuité d’usage. Grace à la démocratisation des smartphones et grâce à ce logiciel, la fonction d’apprentissage est accessible en toute circonstance tout en offrant un confort d’utilisation adapté à la situation d’usage.  

Conclusion


Il y a clairement deux visions du Cloud : une vision technique, côté serveur, orientée vers les architectures de stockage distribuées et les moteurs de synchronisations et une vision ergonomique, côté client, orientée vers la multiplication des contextes d’utilisations et des terminaux de visualisations. 

J’ai essayé de montrer, à travers quelques exemples, comment les applications Cloud révolutionnent à mon sens le rapport à l’outil informatique en permettant la continuité d’usage. Ce concept me semble très important car il traduit le besoin grandissant d’avoir accès à des fonctionnalités, en tout lieu, à tout instant et dans toutes les situations. Pour autant, en fonction du contexte, l’utilisateur choisira toujours le terminal offrant la meilleure expérience utilisateur.

Tout comme il est impossible de concevoir un poste de conduite adapté à 100% des automobilistes, il est illusoire, de concevoir une seule IHM adaptée à une multitude de terminaux de visualisation et avec des modes d’interactions tout à fait différents. Si le Cloud aboutit donc à une architecture serveur distribuée et plus forcement centralisée, il conduit également à plusieurs modules dédiés à la présentation. Je parie à l’avenir sur plusieurs IHMs potentiellement utilisées par le même utilisateur, dans des technologies différentes mais avec des besoins fonctionnels strictement identiques. De quoi redonner ses lettres de noblesse aux architectures n tiers !